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RÉSEAUX SOCIAUX - “Oligarchie digitale” menaçante pour le ministre de l’Économie Bruno Le Maire, “11 septembre de l’espace informationnel” pour le commissaire européen Thierry Breton... La suspension des comptes de Donald Trump sur de nombreuses plateformes, allant de Twitter à Facebook, en passant par Instagram, Switch, YouTube ou Snapchat suscite des réactions aux quatre coins de la planète. Le président américain est accusé d’avoir harangué via les réseaux sociaux ses partisans et donc en creux de les avoir encouragés à envahir le Capitole, la semaine dernière.
Si, sans surprise, les proches de Donald Trump ont dénoncé une censure politique des grandes entreprises du numérique, leurs arguments ont été repris à travers le monde par des personnalités qui sont pourtant loin de partager les positions du président américain. Cette suspension des comptes du locataire de la Maison Blanche oppose désormais deux arguments principaux. Le premier estime qu’une entreprise privée ne peut pas décider de priver de parole publique le dirigeant d’une des plus grosses puissances mondiales, face au second qui assure que Donald Trump est allé trop loin dans les fakes news et incitations à la violence.
Ce qui se joue entre ces deux camps, c’est la place qu’occupent désormais les réseaux sociaux dans la démocratie et le débat public. “Quoi que fassent les plateformes numériques, il leur sera toujours difficile de satisfaire tout le monde et ce carrefour se trouve d’ailleurs au cœur de leur existence. Si elles laissent faire, elles sont accusées de surfer sur la polarisation de l’opinion publique qui participe à leur business modèle. Et si elles font quelque chose, elles sont accusées de faire de la censure et d’intervenir dans le débat et l’espace public, alors que la neutralité est l’un de leurs arguments d’utilisation”, décrit pour Le HuffPost Florian Cafiero, ingénieur de recherche au CNRS, spécialiste de l’analyse des réseaux sociaux.
Il pointe également une décision hypocrite des plateformes. “Face à des situations comme celle que présentait Donald Trump, personne ne veut prendre la responsabilité d’une telle décision. Les plateformes ont donc tenté quelque chose d’un peu intermédiaire dans une fenêtre d’opportunité hypocrite. C’était à un moment où elles étaient le moins en danger possible puisque la fin du mandat de Trump approche”, explique-t-il.
Si les plateformes sont critiquées pour leur retard à l’allumage - après tout Donald Trump est à la Maison Blanche depuis 2016 - elles sont aussi accusées d’avoir elles-mêmes permis l’émergence d’un phénomène comme Donald Trump. “L’élection de Donald Trump est la preuve même que les discours qui sont tenus en ligne ont des conséquences directes dans la réalité”, abonde également Florian Cafiero.
Et de fait, avec ses 80 millions de followers et ses tweets enflammés, Trump a pendant toute la durée de son mandat utilisé les plateformes comme un outil de gouvernance direct. Certains de ses ministres y ont appris en même temps que le reste du monde les mesures qu’ils seraient chargés de mettre en place. Quand il ne s’agissait pas de gérer la diplomatie américaine en 280 caractères. Au point que même la justice américaine a reconnu que le compte de Trump était “un forum public” et que le président violait donc la Constitution américaine en bloquant des utilisateurs.
En ce sens, le président républicain a ainsi incarné un client idéal des plateformes dans ce que Romain Badouard, maître de conférences en sciences de l’information et de la communication à l’université Paris-II, et auteur de “Les nouvelles Lois du web: Modération et censure”( Broché), décrit comme “l’économie de l’attention”. “L’idée des plateformes, c’est de rentabiliser l’attention des utilisateurs en leur donnant envie de rester, et afin qu’ils regardent plus de publicité. Pour cela on va plutôt mettre en avant des contenus racoleurs ou radicaux. Les discours de haine jouent eux aussi de ces modèles. Les plateformes sont donc prêtes à faire un effort en termes de régulation mais pas de remettre en cause leur modèle économique”, explique le chercheur contacté par Le HuffPost.
Avec des milliards de chiffres d’affaires et d’utilisateurs, Twitter, Facebook, YouTube apparaissent comme des entreprises toutes-puissantes. Pour autant, rappellent Romain Badouard et Florian Cafiero, les pouvoirs publics doivent aussi prendre leur part de responsabilité et incarner des garde-fous. “Il y a un besoin de régulation démocratique, politique et publique de ces plateformes. Les utilisateurs doivent pouvoir avoir leur mot à dire et surtout, les États doivent pouvoir fixer les règles de modérations. En Europe par exemple, on parle d’impuissance alors qu’on pourrait décider de limiter l’accès au marché européen. Il existe des leviers juridiques et économiques pour cela”, abonde Romain Badouard.
Depuis 2016, pointent les spécialistes, les plateformes sont beaucoup plus attentives aux législations régionales et ont mis en place des processus pour une meilleure modération. “Il y a des systèmes de fact-checking et des algorithmes qui se sont mis en place pour identifier faux comptes et fausses informations, les plateformes collaborent aussi par ailleurs beaucoup plus avec les pouvoirs publics pour lutter contre les fake news en période électorale. Sur le Covid-19 et la campagne américaine, il y a vraiment eu une grande attention. Donald Trump lui-même a été confronté à une réponse graduelle avec d’abord des alertes et des avertissements avant une suppression”, développe pour Le HuffPost, Christine Balague, professeur à l’Institut Mines-Télécom Business School et titulaire de la chaire Good in Tech, tout en évoquant également le Digital Service Act. Présenté par la Commission européenne à la mi-décembre, ce dernier obligera les plateformes à se doter d’un service de modération au risque de se voir interdit d’accès en Europe.
Alors que Florian Cafiero pointe aussi les enjeux de volumes - “YouTube reste le premier pourvoyeur de théories complotistes, mais quand une vidéo y est supprimée, elle a déjà été vue des centaines de milliers de fois”, pour Romain Badouard, il est également grand temps de se questionner sur leur statut. “Elles sont un intermédiaire. Si elles devenaient des éditeurs, il leur faudrait faire de la modération a priori et cela nuirait au débat public, qu’elles ont aussi contribué à améliorer. Dans le droit français, on parle ‘d’opérateur de plateformes’, je pense qu’il faut aller vers ça”, explique Romain Badouard. Sans aller jusqu’aux obligations qui engagent un éditeur de presse, ce statut implique de plus lourdes responsabilités que celui de simple “hébergeur”.
Outre la suppression des comptes de Donald Trump, les plateformes Apple Store et Google Store ont décidé de supprimer de leur catalogue l’application Parler, un réseau social particulièrement prisé des partisans les plus extrêmes de Donald Trump. Quant à Amazon, il a décidé de couper à l’application l’accès à ses serveurs en raison de la persistance des messages d’incitation à la violence après l’assaut du Capitole.
Une décision dont la portée divise. S’agit-il d’enrayer véritablement le développement d’un phénomène violent ou de casser simplement le thermomètre? “Parler a été enfanté par les processus de modération des plateformes traditionnelles. En la supprimant, on conforte simplement les partisans de Donald Trump et des théories du complot dans leurs opinions. Il ne leur faudra pas plus d’une semaine pour trouver un autre serveur ou pour être hébergé dans un pays moins regardant”, détaille Florian Cafiero en évoquant un risque d’effet Streisand.
De son côté, Romain Badouard lui estime au contraire qu’en supprimant l’accès à Parler, les catalogues répondent justement aux enjeux de régulation et limite l’accès à une plateforme non régulée. “Bien sûr que c’est une décision politique de Google, Amazon et Apple, et les groupes complotistes et extrémistes trouveront toujours des endroits où se retrouver. Mais au moins là, ils sont moins à même de pénétrer des espaces grand public”, abonde-t-il.
Parmi ces autres endroits se trouvent notamment les forums 8Kun ou 4Chan, ainsi que l’application Gab. La plateforme avait notamment fait polémique en 2018, quand il avait été découvert que l’auteur d’une fusillade qui avait fait 11 morts dans une synagogue de Pittsburgh y avait posté de nombreux messages antisémites. Déjà indésirable chez Apple et Google, Gab a mis en place ses propres serveurs pour ne pas dépendre de sociétés extérieures.
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Source, article complet : https://www.huffingtonpost.fr/entry/trump-banni-twitter-facebook-et-les-reseaux-sociaux-mis-face-a-leur-contradictions_fr_5ffc7c6cc5b66f3f795ff70c
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